Ordet
de Carl Theodor Dreyer |
avec Birgitte Federspeil, Henrik Malberg, Emil Hass Christensen, Preben Lerdorff Rye, etc.
Campagne du Jutland, en 1930. Au sein de la même foi s’opposent deux familles, celle du fermier Morten Borgen et celle du tailleur Peter Skrocdder; leurs conceptions de la vie diffèrent: pour l’un, elle doit être vécue pleinement, plaisir et peine confondus; pour l’autre, elle n’est que souffrance, prière, et attente de la résurrection céleste. Impossible dès lors pour le fils du fermier d’épouser la fille du tailleur, tant est forte l’intolérance entre ces deux conceptions d’une même foi. Jusqu’à ce que la belle-fille de Borgen, Inger, meure en couche… un drame permettra la réconciliation des deux familles.
Ordet est un film d’épure, tout empreint d’une lumière qui évoque la blancheur des extérieurs de «Jour de colère»; comme par contraste, cette lumière vivante se moque de l’obscurantisme des hommes. Ceux-ci refusent l’amour qui, au-delà du sectarisme, pourrait unir deux êtres; ils condamnent l’athéisme du fils aîné de Borgen parce qu’il est la cause de la mort de son épouse Inger; ils rejettent la folie du fils cadet Johannes qui prophétise par la lande en jurant qu’il est le Christ; enfin ils renoncent même à croire possible la résurrection de la morte. Quand Johannes le prophète traverse les champs en essaimant la parole, ce n’est pas une lumière divine, supérieure, qui lui transmet son message, mais bien plutôt l’aveuglante blancheur des épis qui semble lui parler, ce blé qui plie, se creuse au vent comme une houle, vivant.
Cc n’est pas un hasard si Dreyer éclaire de la même immaculée blancheur les champs du Jutland et le miracle de la résurrection: «Ordet» a beau être un film religieux, il tendrait toutefois à prouver que Dreyer ne croit pas en Dieu — au sens supérieur du terme – mais en la Vie, celle qui permet au blé, chaque année, de renaître sur la même terre.
Danemark, 1955, noir et blanc, 2h06; programme n°1