«La guerre des sexes»
Caméra-stylo, programme n°173 |
Pour son deuxième cycle de l’année, Passion Cinéma part sur le front de la guerre des sexes. A ce propos, certaines bonnes âmes prétendent qu’une paix durable a été conclue. Pour notre part, nous pencherions plutôt pour un simple armistice, signé en défaveur des femmes. Si nous sommes loin des suffragettes ridiculisées par Georges Méliès dans «A la Conquête du Pôle» (1912), qui était bien en la matière un homme de son temps, la gent féminine a intérêt à ouvrir l’œil et le bon, quitte à rouvrir un peu les hostilités. Récemment une enquête a révélé que 99% des hétérosexuels ont connu leur premier émoi en s’extasiant devant «une femme en papier glacé». Par ailleurs, la plupart des comédies américaines à succès fonctionnent toujours sur de bien piteux stéréotypes qui visent à rendre les femmes acceptables aux yeux des hommes, autrement dit à les rendre compatibles avec le fantasme masculin. Nullement gênés, leurs producteurs émérites leur ont même donné une appellation générique, le «chick flick», littéralement le «film de poulettes»!
Résistances masculines
Une autre expression de cette résistance masculine s’incarne dans cette manie abaissante de doter les nouvelles héroïnes de masse d’arguments très virils, en leur faisant faire le coup de poing et autres actes de violence jadis réservés aux seuls porteurs de phallus. Sans parler de la nouvelle pornographie, qui n’a jamais été aussi vile à l’égard des femmes, et dont on peut penser qu’elle constitue un exutoire, voire une vengeance par procuration, pour les mâles qui ne peuvent plus saillir leurs femelles comme autrefois, selon leur bon vouloir. Ce que l’on appelait alors «la guerre de sexes» a certes pris un tour virtuel, mais non moins agissant sur les mentalités, promouvant un sexisme larvé autrement pernicieux. Dans les années soixante et septante, le cinéma a pourtant contribué à lézarder la citadelle du fantasme masculin, par le biais de films où s’aiguisait le regard féminin. Songeons à «Wanda» (1970), seul et unique film de Barbara Loden, qui vient de faire l’objet d’un essai romanesque magnifique («Supplément à la vie de Barbara Loden» de Nathalie Léger).
Thatcher, travestis et sex-addicts
Passion Cinéma propose six films (et un ballet) qui prouvent que la guerre des sexes a bien eu lieu et qu’elle couve encore, sous le couvert d’une égalité qui reste le plus souvent de l’ordre de l’imaginaire. Ainsi, dans «La Dame de fer», la cinéaste Phyllida Lloyd révèle le prix très cher payé par Margaret Thatcher, que l’on ne peut soupçonner de féminisme, pour mener la carrière que l’on sait (être pire qu’un homme). Quelques décennies auparavant, le travestissement était de rigueur, si l’on voulait échapper au servage masculin («Albert Nobbs» de Rodrigo Garcia). Avec le subtil «Happy Happy», la cinéaste norvégienne Anne Sewitsky démontre que la définition du bonheur varie selon le sexe. L’incroyable «Shame» de Steve McQueen s’attache aux pas d’un jeune homme bien de notre temps, qui considère l’acte sexuel comme une expression de son individualité et le répète jusqu’à l’écœurement. Dans le stupéfiant «38 Témoins», Lucas Belvaux ranime le spectre de la non-assistance à personnes en danger, a fortiori quand il s’agit d’une femme!
Vincent Adatte