Entre deux mondes
Univers parallèles ou opposés, finissants ou émergeants, fictionnels ou réels, les mondes s’opposent, se succèdent, s’assemblent ou se ressemblent au sein des onze longs-métrages inédits présentés par Passion Cinéma, du 29 décembre 2021 au 25 janvier 2022. Rien de tel que ces «entre deux mondes» cinématographiques, bruissants d’intelligence, pour passer le cap de la nouvelle année!
S’appropriant en la circonstance un aphorisme dû au critique français Michel Mourlet, Jean-Luc Godard a «intertitré» en épigraphe de son sublime «Mépris» (1963) la phrase suivante: «Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs». D’aucuns se sont extasiés devant cette magnifique citation, tant du point de vue de son sens profond que de son phrasé fort élégant.
Ce que ces beaux esprits oubliaient, c’est que cette sentence désignait pour JLG le «mauvais» cinéma par excellence, celui qui émousse notre sens critique en lieu et place de l’affûter. Nous ne pouvons que lui donner raison, tout film digne de ce nom se doit de miner cet accord aliénant, de lui privilégier la dissonance et le dissensus, comme s’emploie à le faire depuis des décennies le prophète salvateur de Rolle.
SE DÉFAIRE DE L’ILLUSION
Pour son premier cycle de l’année 2022 intitulé «Entre deux mondes», Passion Cinéma, officine d’agitation cinématographique, a programmé onze films de tous les genres qui attentent à l’illusion de l’harmonie parfaite, faisant s’entrechoquer des mondes secrets, inavouables, irréconciliables, scandaleux, inaccessibles, défaits, mensongers, absurdes…
Il en va ainsi de l’idylle filmée dans «Licorice Pizza» sur fond d’extinction de nos idéaux par Paul Thomas Anderson, sans doute l’un des plus grands cinéastes de notre temps. Idem pour «La Croisade», conte familial de Louis Garrel qui montre toute la béance du fossé intergénérationel séparant les parents de leurs enfants angoissés par une fin possible de l’anthropocène.
LA PRÉCARITÉ COMME SI VOUS Y ÉTIEZ
Dans son admirable «Ouistreham», Emmanuel Carrère met en scène l’immersion d’une journaliste dans l’univers par trop occulté de la précarité, la situant littéralement entre deux mondes, alors que le génial Arnaud Desplechin joue avec l’imagination d’un écrivain inspiré par Philip Roth dans son treizième long-métrage intitulé «Tromperie», un titre qui aurait aussi très bien convenu à ce cycle de films bruissants d’intelligence…