«Tout l’art des contrastes»
Caméra-stylo, programme n°190 |
Du 21 mai au 1er juillet, Passion Cinéma présente, dans le sillage du Festival de Cannes, un cycle de 7 films inédits qui attestent chacun à leur manière de la diversité passionnante du cinéma d’auteur, à petit ou grand budget… De la fantaisie sociale de Robert Guédiguian dans «Au fil d’Ariane» au conflit cinq étoiles de David Cronenberg dans «Maps to the Stars», en passant par les oiseaux rares de Pascale Ferran («Bird People»), la lutte très classe de «Deux jours, une nuit» des frères Dardenne, la troublante «Chambre bleue» de Mathieu Amalric, les drôles de marginaux de Pierre Salvadori («Dans la cour»), ou encore la pléthore de femmes dans «Sous les jupes de filles» d’Audrey Dana, le septième art exprime à merveille son aptitude au contraste.
Au jour d’aujourd’hui, l’Usine à rêves hollywoodienne semble exténuée. La pauvre se serait-elle complètement épuisée, à force de dupliquer à l’identique des films formatés où le placement de produits l’emporte sur toute autre forme de considération? Seuls quelques vieux briscards savent encore l’art mystérieux d’allier créativité et rendement, tel Scorsese ou Eastwood! Si le nombre de spectateurs a baissé chaque année depuis 2004 aux Etats-Unis, le revenu généré par son industrie cinématographique, lui, n’a cessé d’augmenter, au point qu’il n’importe plus du tout qu’un film ait du succès en salles, d’où une multiplication ad nauseam de blockbusters sans aucun intérêt.
La téléphilie se substitue à la cinéphilie
Ce paradoxe capitalistique est sans doute à l’origine du changement de paradigme qui affecte actuellement la cinéphilie mondiale que l’on devrait dès lors qualifier de «téléphilie». Le nouvel eldorado cinéphilique étasunien, c’est désormais la série qui a littéralement siphonné le vivier des scénaristes de cinéma, trop heureux de pouvoir défricher de nouveaux territoires narratifs, avant que l’impératif économique catégorique ne les dévaste à leur tour!
L’Europe n’est pas épargnée
En Europe, le pli semble être aussi pris, après le tournant historique de «Turf», désolante comédie française produite par TF1, qui a essuyé un flop retentissant à sa sortie en salles en mars 2013 malgré la présence des sieurs Chabat et Depardieu au générique, avant d’atteindre un record d’audience historique lors de sa diffusion en prime time sur la chaîne, qui, pour mémoire, vend à ses annonceurs «du temps de cerveau humain disponible» (sic). Le dommage est énorme, encourageant la première télévision française au plus vil des formatages… Autoproclamée «chaîne du cinéma», Canal+ est de son côté tentée de changer sa politique de programmation en voyant ses chers abonnés privilégier toujours plus les séries aux films exclusifs qui ont pourtant fait sa gloire. Pour le cinéma français, ce constat semble être une bien mauvaise nouvelle, dans le sens où la chaîne cryptée est un acteur absolument incontournable du système de production tricolore, mais pour combien de temps encore?
Le vrai cinéma s’en remettra
Pour peu que l’on apprenne à dépenser un peu moins, cette désaffection des grandes puissances audiovisuelles mutilantes a peut-être du bon. Moins pressés par leurs commanditaires, les cinéastes se montreront sans doute à nouveau plus personnels. Mieux même, ils retrouveront peut-être le goût de l’aventure, de l’innovation, à travers des films ne rapportant pas gros dans l’immédiat, mais qui, à long terme, s’affirmeront comme des jalons d’une histoire du cinéma encore à écrire. La diversité et le contraste en sortiront certainement renforcés, comme l’attestent déjà les sept films que nous avons retenus pour le dernier cycle de Passion Cinéma avant sa pause estivale, dont quatre auront eu droit aux honneurs cannois… Vous donner envie de découvrir les films combien passionnants et passionnés de Mathieu Amalric, Jean-Pierre et Luc Dardenne, David Cronenberg, Pierre Salvadori, Pascale Ferran, Audrey Dana et Robert Guédiguian, c’est notre manière à nous de pécher par optimisme!
Vincent Adatte