«Cinémas de l’Islam»

Caméra-stylo, programme n°58 |

Invention occidentale, personnifiant un certain type de progrès, le cinéma entretient avec la culture islamique un rapport complexe mais combien passionnant! Religion monothéiste comme le judaïsme et le christianisme, l’Islam fut révélé au prophète Mahomet au début du 7ème siècle à la Mecque — entre 622 et 632, date de la mort de Mahomet, le Prophète et ses compagnons réussirent à convertir l’«Arabie» toute entière. Le livre sacré des Musulmans, le Coran, ne contient aucun passage relatif aux arts et, contrairement à une opinion trop répandue, il ne contient aucune doctrine «iconoclaste» (interdiction du culte des images). Par contre, du fait que Dieu seul est créateur et qu’il n’a ni intermédiaire, ni associé, toute représentation des valeurs spirituelles par le biais de formes visuelles est bel et bien bannie — les spécialistes parlent donc de l’«aniconisme» de l’Islam.

Ce rejet de la représentation a eu cours pendant des siècles. Comment se fait-il, dès lors, que le cinéma ait pu se développer durablement dans les pays de culture musulmane. La raison en est historique: diffusé par les opérateurs Lumière, le cinéma a «colonisé» ces pays alors qu’ils étaient sous l’emprise des grandes puissances occidentales. Toutefois, cette mise en perspective n’explique pas pourquoi le septième art a suscité là-bas tant d’enthousiasme. Certains avancent l’hypothèse d’une parenté «secrète» avec des formes artistiques «locales», parfois antérieures à l’Islam: le théâtre d’ombres en Iran, la danse et le chant en Egypte, la pantomime en Turquie, etc.. D’où peut-être l’étonnante variété des cinématographies nées en terres d’Islam.

Le récent retour à un certain fondamentalisme religieux (intégrisme) a certes freiné cette expansion — surtout en ce qui concerne la production commerciale. Mais, paradoxalement, elle a favorisé la création d’un cinéma dit d’auteur. Contraints de s’accommoder d’une censure toujours plus vigilante, les cinéastes s’efforcent d’inventer de nouvelles formes qui, trop nouvelles, échappent à l’opprobre des pouvoirs en place. Cette évolution explique sans doute pourquoi, par exemple, l’Iranien Mohsen Makhmalbaf tourne des films prodigieux qui interrogent la notion même de cinéma. De même, Ömer Kavur, Nacer Khémir et autre Mohamed Malas créent des univers fabuleux qui s’ouvrent comme autant de territoires où circule, vivante, la plus grande poésie; perpétuant à leur manière une culture millénaire.

Vincent Adatte