Jour de colère

de Carl Theodor Dreyer |
avec Preben Lerdorff Rye, Throkild Roose, Lisbeth Movin, etc.

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      Ce jour-là, une vieille sorcière est arrêtée. Ce jour-là, le jeune Martin revient de voyage pour retrouver son père, le pasteur Absalon; celui-ci lui présente sa seconde femme, la trop belle et trop jeune Anne. Ce jour-là, donc, un drame se noue, qui va voir s’abattre sur les hommes la prétendue colère de Dieu. Car cette colère-là, n’est-elle pas plutôt celle des hommes qui, au nom de Dieu, punissent la Femme de leur avoir, dans un ins­tant d’égarement, fait transgresser la Loi? Dans cet obscur 17ème siècle protestant, cette colère se cristallise au fond sur un seul être: la femme, Anne, cet «objet» de désir à qui l’on nie le droit à la liberté.

      La lumière, une fois encore, se révèle ici «éclairante», tant elle parle pour le cinéaste. D’abord, l’image du film nous plonge dans un clair-obscur digne de Rembrandt: les lieux clos — la maison du pasteur, la chambre de torture, le tribunal — nous appa­raissent chargés d’ombres, pesants du drame à venir; la lumière extra­it alors de l’ombre les acteurs du drame, selon une description clas­sique proche du «Maître du logis».

      Mais Dreyer ne continue pas dans cette voie; au contraire: lorsque Anne et Martin se promènent dans la nature, préfigurant la faute qu’ils vont commettre, la lumière du jour semble alors naître des arbres et de la rivière, entourant l’espace d’un halo «idyllique», dont la splendeur irradie sur l’amour qui noue ces deux êtres; une lumière immanente, païenne, que l’on re­trouvera dans «Ordet» et sa femme «ressuscitée»; une lumière de Vie qui contraste singulièrement avec le drame qui se prépare.

      Enfin, lorsque la colère de Dieu s’a­bat sur la femme adultère, lorsque, répudiée par Martin, Anne se ré­signe et s’accuse de la mort du pas­teur Absalon, la lumière se trans­forme, une troisième fois. Dreyer ne reproduit pourtant pas la lumière dramatique du début: dans les mêmes lieux clos, plus l’intolérance croît, plus la lumière semble se séparer du drame; devenue indiffé­rente à la tragédie, la lumière se fait «documentaire», témoignant froide­ment de l’injustice des hommes qui se réclament pourtant de la lumière divine; une lumière qui préfigure le gris neutre, indécis, de «Gertrud», cette autre femme du cinéma de Dreyer, qui renonce au monde comme Anne au moment de son procès; la lumière de la vérité?
      VREDENS DAG, Danemark, 1943, noir et blanc, 1h32; programme n°1

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