«Truffaut: les femmes et les enfants d’abord»

Caméra-stylo, programme n°89 |

Six films (en copies neuves), ce ne sera pas de trop (mais ce n’est sans doute qu’un début), pour tenter de dissiper le malentendu qui fait aujourd’hui de François Truffaut (1932-1984) un cinéaste quasi maudit, alors qu’il incarne dans l’«inconscient cinéphile collectif» l’idée même du cinéma. Tout le monde ou presque, à un moment ou à un autre, lui est tombé dessus; certains diront encore et toujours qu’il s’agissait là d’un juste retour des choses pour quelqu’un qui, dans sa jeunesse, n’avait pas hésité à tirer à bout portant sur «une certaine tendance du cinéma français» un pamphlet mémorable paru dans le n°31 des «Cahiers du cinéma».

Malentendu

Ce malentendu (car c’en est un) a entraîné plus d’un esprit «brillant» à (trop) rapidement considérer Truffaut comme un cinéaste déclinant, un créateur radical qui aurait cédé peu à peu aux sirènes du cinéma «classique». Il y a plusieurs raisons qui expliquent ce qui apparaît aujourd’hui comme une véritable erreur de jugement. Primo, Truffaut n’a eu de cesse de vouloir surprendre son monde (et lui-même) en tournant consciemment ses films les «uns contre les autres» — un exemple parmi tant d’autres, «La Peau douce» (1964) prend l’exact contre-pied formel et thématique de «Jules et Jim» (1962). Cette volonté de renouvellement perpétuel a égaré plus d’un critique dans son jugement… Activiste en chef de la Nouvelle Vague, Truffaut s’est très vite écarté de ses préceptes.

Plus vrai que la vie

Secundo, Truffaut déclare de manière provocante «le cinéma plus vrai que la vie»; cette annonce ne pouvait que décontenancer tous les cinéastes qui militaient pour une pratique cinématographique plus proche du réel. Pour qui connaît un tant soit peu l’œuvre de l’auteur de «La Nuit américaine», cette déclaration n’a rien d’incohérent: chez Truffaut, le cinéma est toujours un moyen de révéler sous les dessous ordinaires et grisâtres du quotidien la sauvagerie «enfouie» de l’homme — c’est cette capacité de révéler cette dimension cachée (refoulée diraient les psys) qui fait que le cinéma est effectivement «plus vrai que la vie». Cette idée, mal comprise par les jeunes idéologues «sincères» de Mai 68, leur a rendu Truffaut très suspect, surtout que, dans le même temps, l’ex-trublion de La Nouvelle Vague, avait constitué autour de lui une véritable petite entreprise — Les Films du Carrosse, ainsi nommée en hommage au film «Le Carrosse d’or» (1953) de Jean Renoir — qui n’hésitait pas à chercher ses soutiens financiers outre-Atlantique. Au jour d’aujourd’hui, le temps a sans doute donné raison à Truffaut qui avait vu dans la main-mise idéologique de l’idéal de Mai 68 sur le cinéma le début de l’ère du «politiquement correct», lequel domine actuellement le «nouvel ordre mondial audiovisuel».

Une pratique artisanale

Enfin, et tertio, Truffaut a toujours considéré que le succès public constituait un gage de réussite pour ses films — c’est pourquoi, ses échecs commerciaux l’ont souvent plongé dans un profond désarroi («La Sirène du Mississippi», «Les deux Anglaises et le continent», «La Chambre verte», etc.). C’est qu’il est hanté par l’idée que le cinéma est, avant toute chose, une pratique «artisanale» de la communication, que le film doit être entièrement créé dans la perspective du spectateur. En cela, Truffaut est un authentique continuateur de la démarche poursuivi par Alfred Hitchcock, le «maître du suspense» — le cinéaste qu’il admire le plus avec Renoir (ce dernier pour sa profonde humanité). Ce qui ne l’empêche pas de procéder à des choix radicaux qu’il s’efforce de justifier avec les seules armes de l’intelligence (et le concours de scénaristes rompus à l’art du récit cinématographique). Le taxer de cinéaste «populiste» (comme certains n’ont pas hésité à l’écrire) est donc pour le moins hâtif…

Le cinéaste qui aimait les femmes

Les six films retenus ont pour point commun le rôle central tenu par l’élément féminin — représenté par des actrices formidables (Isabelle Adjani, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, etc.). De fait, Truffaut est un extraordinaire cinéaste de femmes «en mouvement». Toujours actives, celles-ci ont dans quasi tous ses films une fonction dynamique, à la fois créatrice et profondément déstabilisante — à l’exemple de Bertrand Morane, le personnage principal de «L’Homme qui aimait les femmes» (dont le scénario a été écrit en collaboration avec un «séducteur professionnel»), qui ne vit et agit qu’à travers le regard des femmes.

Vincent Adatte