«Indie made in USA»

Caméra-stylo, programme n°129 |

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Avivé par la menace de l’avènement cauchemardesque d’un «monde selon Bush», le jeune (et moins jeune) cinéma indépendant américain connaît actuellement un essor remarquable. Le progrès technique y est sans doute aussi pour quelque chose. Au jour d’aujourd’hui, l’usage généralisé des «petites» caméras numériques permet en effet de tourner à moindre coût, quasiment en autarcie! Mais, plus profondément, ce phénomène constitue surtout une réaction salutaire à l’évolution récente du cinéma industriel qui a une très nette tendance à devenir un simple relais publicitaire dans la chaîne de production des biens et des marchandises. Pour mémoire, au temps de la magnificence d’Hollywood, les «Majors» se vouaient exclusivement à faire des films, elles n’avaient pas d’autre but que de faire prospérer l’«usine à rêves». A partir des années septante, la crise économique a modifié la donne: pour survivre, les grands studios se sont laissés absorber par les grandes puissances de l’économie mondialisée (Sony, Coca-cola, Matsushita, Vivendi) et se sont dès lors métamorphosés en gigantesques conglomérats d’entreprises où le cinéma n’est plus qu’une activité parmi d’autres.

Rêverie promotionnelle

Il s’agit bien sûr d’un changement d’importance, dans le sens où il affecte non seulement le contenu et la forme des films issus de la grosse industrie cinématographique, mais aussi leur statut. Depuis quelques années, les superproductions Warner, Fox ou Universal ne valent plus pour elles-mêmes. Pis encore, elles sont réduites au rang humiliant d’«effet d’appel» pour inciter les consommateurs à céder à la logique strictement commerciale du produit dérivé (vêtements, jouets, aliments), lequel constitue une manne autrement profitable que les recettes «spectateurs»! Sur le plan formel, ce changement de statut a eu pour effet de vider les films de leur substance pour coller à l’esthétique «internationale» publicitaire qui, on ne le sait que trop, évite comme la peste tout effet de réel. Cette nouvelle affectation explique pourquoi on aperçoit de moins en moins d’Amérique dans les films, alors que les grands cinéastes de l’âge d’or hollywoodien ne nous faisaient voir que cela. Sur le plan politique, cet escamotage permanent de la réalité au profit de la rêverie promotionnelle est aussi tout bénéfice pour le pouvoir en place qui a remis l’idéologie au goût du jour.

Attentats esthétiques

Cette main mise du support publicitaire sur le film a entraîné la mise à la retraite prématurée de plus d’un cinéaste expert dans l’ancien jeu subtil avec les conventions que supposait toute collaboration avec une «Major». Parmi les vétérans, Gus Van Sant est sans doute l’un des seuls à avoir eu le courage de renouer avec la production «low budget»… En revanche, le diktat de l’apparence semble susciter nombre de vocations de la part de jeunes cinéastes indépendants dont les films fauchés opèrent un retour fracassant dans le réel «affreux, sale et méchant» qui prévaut actuellement aux Etats-Unis. Par effet de contraste, les œuvres des Solondz, Caouette et autre Araki déflagrent comme autant d’attentats esthétiques, perpétrés au nom d’une conception très élevée de la salubrité publique. Ce sont bel et bien de véritables actes de résistance!

Vincent Adatte