«Image par image»

Caméra-stylo, programme n°114 |


Au théâtre, la marionnette s’anime par la magie du manipulateur aidé de ses fils et de ses mains. Au cinéma, ce dernier use d’une autre technique, conçue au départ pour le dessin animé, qui reste invisible pour le spectateur: l’animation image par image. Le cinéaste filme l’objet manipulé photogramme par photogramme, en modifiant légèrement sa position entre chaque prise de vue. Une fois développée, la pellicule est projetée à vingt-quatre images par seconde… Et là, miracle, l’objet s’anime, soudain doté de sa vie propre!

Des marionnettes sans fils

Simple, cette technique exige pourtant infiniment de temps, de rigueur et de minutie. Mais elle permet aussi à un cinéaste très patient de créer des univers débordants d’imagination. De nombreux réalisateurs ont alors remplacé l’acteur en chair et en os par des marionnettes, faites de bois peint pour le Tchèque Jiri Trnka ou le Hongrois George Pal, de tissus pour le Russe Ladislas Starewitch ou de papier mâché pour l’Américain Ray Harryhausen, auquel le Festival du Film fantastique à Neuchâtel a récemment rendu hommage. À l’exemple d’Harryhausen, nombre de ces maîtres de l’animation ont poursuivi leur carrière dans les effets spéciaux des films de fiction, concevant par exemple le célèbre gorille géant de «King Kong» (1933), qui ne mesurait en réalité que trente centimètres de haut! Cette exploitation cinématographique de la marionnette est riche d’innombrables chefs-d’œuvre et ce, jusqu’à aujourd’hui. Pour imaginer son formidable «Etrange Noël de Monsieur Jack», Tim Burton s’est ainsi ouvertement inspiré de l’œuvre du pionnier Starewitch.

Animer l’impossible

Néanmoins, une foule d’expérimentateurs ont délaissé la reproduction de personnages anthropomorphes, cherchant à animer l’impossible: objets divers, tables, fleurs, pierres, œufs, etc.. Dès la naissance du cinéma, la technique de l’animation image par image a été exploitée pour mêler aux acteurs en chair et en os des objets vivants, à l’instar des parapluies magiques de la «Symphonie fantastique» (1906) ou des cercueils qui se déplacent tout seuls dans le célèbre “Nosferatu” de Murnau (1922). Certains ont tenté d’animer des matières inédites, comme le sable dans «Le château de sable» du Danois Co Hoedeman ou des agrafes et des morceaux de carton dans «Flatworld» de l’Américain Daniel Greaves. D’autres encore ont inventé tout un cinéma d’objets où des souliers et des brosses à dents peuvent très bien se battre en duel («Dimension du dialogue» du Tchèque Jan Svankmajer). Quelques-uns sont revenus à la figure humaine pour la transfigurer en la manipulant comme une marionnette grâce au procédé de la pixilation («Les voisins» du Canadien Norman McLaren, 1952).
La pâte à modeler et la plastiline (une «consœur» plus solide) vont toutefois unifier ces deux grands courants de l’animation image par image: malléable, multicolore, permettant toutes les formes et les distorsions, ces matières deviennent l’outil par excellence des cinéastes d’animation de volumes, donnant vie à des créatures qui n’appartiennent cette fois qu’au cinéma, à la manière des caricatures politiques de l’américain Will Winton, des «Wallace et Gromit» du Britannique Nick Park ou du cochon de leur jeunes et talentueux héritiers helvétiques, Frédéric et Samuel Guillaume.

Frédéric Maire